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We coeur Terre Thaemlitz
Soulnessless exhibition at CAC Brétigny
 
- Élisabeth Lebovici


In Le Beau Vice (FR), 27.01.2013.

 

 

 

 

 

 

 

C'est le dernier jour de l'exposition Terre Thaemlitz au CAC de Brétigny.

Mais ni l'exposition ni Terre Thaemlitz ne croient aux " derniers jours", comme on a pu croire à "la fin du monde" il y a deux mois.
Tout son exposition est là pour dire qu'elle n'y croit pas tandis que Terre dit tranquillement sa détestation de la religion, de toutes formes de religions. Et c'est si bon!
Thaemlitz n'expurge pas le désespoir, l'aliénation, le dénuement qui mènent à l'adoption d'un filon spirituel : il parle en connaissance de cause, en tant que gouine-pédé-trans qui fut en proie à un prurit d'homophobie religieuse, comme elle qu'elle se pratique dans une ville moyenne du milieu des Etats-Unis, par une communauté persuadée que le sida est un châtiment de dieu, C'est ce qu'il précise dans le Canto I "ROSARY NOVENA FOR GENDER TRANSITIONING". Terre Thaemlitz en a fait cinq, pour composer les 32 heures d'audio (soit l'album le plus long jamais entendu) +video+expo intitulés Soulnessless .
C'est un néologisme à distinguer de Soullessness, qui voudrait dire absence d'âme, ce qui reviendrait à adopter le dualisme habituel. Il s'agit, pour Thaemlitz, qui est musicienne et DJ d'une déconstruction de la "soul music, plus précisément des notions de spiritualité, de méditation, de superstition et de religiosité perpétrées et perpétuées par un marketing musical qui insiste pour juger le matériel sonore en relation à une "authenticité", une "âme". Wow!
Dans ce premier Canto, des textes défilent à l'écran sur fond de statue virginale, Marie étant, selon Thaemlitz la première trans (et selon Gouine comme un camion, la première femme inséminée. http://gouinecommeuncamion.tumblr.com/ PMA Oui, oui oui! )

Le Canto I raconte comment Terre, enfant et adolescent occupé à se défaire des effets de la bigoterie catholique, vérifia le lien tressé entre le monde de la religion et du transgenre par le biais d'une boîte, dont disposait par sa grand mère maternelle, dans laquelle une vierge munie d'un phallus, livrait le secret de sa transexualité.


 
Le système de l'exposition, pour laquelle le CAC de Brétigny a été passé au noir, où figure un énorme papier peint pixellisé d'une église en feu (aussi la couverture de l'album) et une immense boîte où est serrée toute la production musicale de Thaemlitz, consiste à montrer chacun des DVD/Cantos accompagné de deux constructions de en bois pour s'asseoir et d'une table où sont posées des photographies, destinées à ce que chaque visiteuse/visiteurs change l'accrochage des 8 images au mur. Il y a également une armoire-reliquaire, avec notamment, la première palette à maquillage de Terre et quelques-uns des objets qui ont servi à la composition des textes.
Canto II, TRAFFIC WITH THE DEVIL passe également d'un sujet à l'autre, associant la complexité administrative de l'immigration au Japon à la fréquence inusitée de fantômes et de phénomènes hantés perçus par les travailleurs/ses sans papiers provenant des Philippines. Canto III PINK SISTERS explore et liste l'utilisation d'instruments électroniques par les soeurs dans leurs couvents: Orgue électronique Yamaha, retour stéréo, enceintes de marque, micros, orgues électriques et cables d'enceintes sont décrits par le menu et pour chaque chapelle, chaque reliquaire, avec précision. Canto IV TWO LETTERS juxtapose deux lettres , l'une expose la militarisation de l'école non-mixte Sainte Marie (Minnesota) et évoque la question d'une protection catholique sur les jeunes gens, pour qu'ils ne soient pas envoyés à la guerre. L'autre expose les tourments d'un futur séminariste sur sa circoncision obligatoire. Enfin, Canto V, MEDITATION ON WAGE LABOR AND THE DEATH OF THE ALBUM construit matériellement la fonction travail-temps-argent dans le champ de la musique, du disque au cd, du cd au mp3, and so on...


 
http://www.comatonse.com/writings/2012_soulnessless.html

C'est d'ailleurs la musique du Canto V qu'on entend en permanence lorsqu'on est dans l'exposition. Et qui est stupéfiant (oups!), magnifique (re-oups) parce qu'entre une note et une autre et durant presque 29 heures, une expérience perpétuellement inédite et renouvelée se produit. Le site Resident Advisor le dit bien mieux:" ce qu'on peut offrir de plus précieux, au 21è siècle, c'est son attention et Soulnessless la requiert (...) Pourquoi les artistes ont-ils si peu fait pour transformer leur art en se confrontant aux possibilités de l'internet et du mp3? Pourquoi demandons nous tellement de "contenu" aux artistes que nous aimons? Pourquoi ces notes en particulier?" http://www.residentadvisor.net/review-view.aspx?id=11995

Voilà ce qu'on aime avec Terre: voir, et plutôt entendre sa radicalité matérialiste, on pourrait même dire ce "bas matérialisme" pour évoquer Bataille (qu'il doit ne pas aimer), qui brise tout idéalisme, toute pensée d'une salvation qui traverserait l'esprit grâce aux arts, grâce à la musique, grâce à une adhésion quelconque, hypnotique ou non, opiacée ou pas. C'est cette lucidité désertique, traversant la division genrée du travail, l'exploitation domestique et l'emprise de la religion, dont Terre Thaemlitz fabrique sa matière sonore, indivisible du discours qui l'anime.