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DJ Sprinkles: Where Dancefloors Stand Still
 
- B2B


In Silent Weapons for Quiet Wars (SWQW) (France), 01 avril 2013.

 

C'est un comble pour Terre Thaemlitz ! Lui qui, au début des années 2000, a fui New York pour Tokyo, parce que n'arrivant pas à trouver sa place d'être transgenre dans un pays bloqué dans son puritanisme, se retrouve à nouveau à devoir affronter une loi restrictive. Car depuis peu, il est interdit de danser dans les clubs tokyoïtes, passée 1h du matin (loi aussi absurde que clivante puisque cherchant à montrer d'un doigt désapprobateur une population nocturne débridée, et donc potentiellement déstabilisatrice de l'ordre en place). En revêtant le costume de DJ Sprinkles, Terre a donc décidé de passer un message aux autorités en place en sortant Where Dancefloors Stand Still, mix au titre explicite.

Les habitués de Monsieur Thaemlitz ne seront pas surpris de le voir à nouveau porter la voix de ceux que l'on n'entend pas. Pour les autres, un petit retour en arrière s'impose car s'étendre sur Terre Thaemlitz nécessite quelques précisions. L'américain ne se revendique d'aucun sexe. Ayant grandi dans un Missouri conservateur, il découvre la house, à l'aune des 90's, dans les clubs new-yorkais. Tour à tour DJ, producteur, écrivain et poète, il va rapidement faire prendre une tournure politique à l'ensemble en se faisant le porte-parole du mouvement transgenre. En fondant le label Comatonse, il peut librement propager ses idées. La musique de Terre Thaemlitz répond à un mélange hautement qualitatif de house oldschool, de deep-house filtrée, de soul black et d'éléments jazz retravaillés (ce que lui-même nommera fagjazz). La résultante est une house music tellement sexuelle que ça en devient provocant. Sans revenir en longueur sur sa discographie, il est tout de même bon de rappeler que Midtown 120 Blues avait été élu meilleur album de l'année 2009, à l'époque de Chroniques Electroniques, et que la ressorti en 2011 de Routes Not Roots (sous l'entité de K-S.H.E.) avait provoqué de dangereuses montées de sève. De toute façon, tout ce que sort Terre s'approche de la perfection et fait de lui le plus grand producteur house en activité (inutile de débattre, c'est un fait).

Voilà pourquoi la sortie d'un simple mix peut provoquer autant d'attente. Le pire dans cette histoire, c'est qu'il n'y aucun morceau de l'intéressé dans ce Where Dancefloors Stand Still. Et pourtant, nous voilà face à un bijou qui dépasse d'entrée de jeu tous les mixes sortis cette année (et sans doute à venir). Il existe deux versions de l'exercice : une édition vinyle, se limitant à 9 titres non-mixés, et une édition CD, celle nous intéressant ici, se composant d'un mix de 14 titres. Les deux éditions se complètent assez finement et permettent de mieux comprendre comment DJ Sprinkles opère. Et si vous ne devez choisir qu'une version, préférez le mix CD, plus pertinent.

En débutant son mix par un titre de 1992 de Braxton Holmes, on se dit que Terre Thaemlitz veut nous jouer la carte de l'hommage inaugurale. On y croit d'autant plus que le retour au présent s'opère dès l'enchainement avec le Deep S du russe Alex Danilov. Mais en fermant la boucle temporelle en deux morceaux, DJ Sprinkles nous annonce plutôt son intention d'aller piocher dans toutes les époques. C'est ainsi que Where Dancefloors Stand Still va jouer la carte des confrontations sans jamais donner l'impression du mélange glouton. Au contraire, puisque tout n'est que question de fluidité. Les 14 titres coulent avec une rare aisance et les 80 minutes disparaissent pour devenir une voix, une seule, se répercutant à l'infini.

Là où DJ Sprinkles excelle, c'est dans l'art de la retouche subtile. Au lieu de tomber dans l'exercice technique, il se contente de respecter l'héritage des morceaux playlistés en se limitant à un filtrage poussé de la basse et au rajout d'échos permettant de répercuter les voix dans l'espace. Car entre les râles orgasmiques et les poussées soul, on ne sait plus où donner de la tête. C'est donc bel et bien au 4ème sous-sol d'un club moite, étouffée par des basses deep à l'extrême, que l'on se trouve. DJ Sprinkles installe l'auditeur dans une ambiance hautement sexuelle, propice à la lascivité. Les morceaux se succèdent en rappelant toujours l'importance de l'apport de la house américaine du début des 90's. On retrouve ainsi les légendaires Fingers Inc. sur un Never No More Lonely de 1989 pour une house de puriste, chantée, ou bien le génial Gene Farris sur un Good Feeling soul et euphorisant avec son beat rebondissant. Et quand la décharge sexuelle devient trop intense, Terre vient calmer le jeu avec des parenthèses jazz de haut vol comme sur ce Forestfunk I d'Understars, où la partition pour clavier vient jouer avec la basse circulaire et molletonnée. Tout s'équilibre et le mix en devient renversant.

Where Dancefloors Stand Still dévoile 14 titres tout bonnement exceptionnels. En mélangeant avec aisance house oldschool et deep-house actuelle, DJ Sprinkles démontre une fois de plus à quel point cette musique dépasse les clivages. Tout s'imbrique pour ne former qu'un seul et unique morceau, d'une douceur et d'une sensualité rare, tout en provoquant le corps. A ce titre, le pari initial de Terre Thaemlitz est réussi puisqu'il paraît inconcevable d'écouter cet album sans bouger son cul.

Mais Where Dancefloors Stand Still va bien au-delà et apparait tout simplement comme un des plus beaux mix house jamais sorti.