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Terre Thaemlitz, explorateur des champs de la jouissance sonore
TERRE THAEMLITZ, au Centre Pompidou, Paris. Le 29 novembre.
 
- Véronique Mortaigne


Le Monde daté du samedi 2 décembre 2000.


 

Qu´il fasse l´objet de lectures à la très fameuse université américaineStanford, que le magazine The Wire lui consacre, en mars, sa couverture et un dossier en conséquence, que ses disques et son site Internet (www.comatonse.com) soient inondés de ses écrits théoriques, Terre Thaemlitz n´en demeure pas moins un artiste de la passion amoureuse. Sa musique, présentée pour la première fois en France au Centre Pompidou dans le cadre de la mani-festation « Monter/Sampler », prend appui sur la problématique des corps, explorant les zones interdites – ce qui reste une fois dépassés les objets de leurs attractions, de leurs répulsions. Terre Thaemlitz s´intéresse aux interstices, à l´inexplicable – mais non l´indicible, puisqu´il se montre tel qu´il est : homme aux cheveux mi-longs, au décolleté engageant, aux seins pommelés et portant robe fourreau et hauts talons.

Musicien électronique, Terre Thaemlitz est une figure centrale de l´ambient américain et de la musique électroacoustique de terrain (par opposition aux expérimentations savantes). Sans bruit, mais avec tellement d´élégance et de délicatesse, cet artiste « transgenre » se glisse dans les vides, là où ni l´hétérosexualité ni l´homosexualité n´ont de sens, mais où il est question d´aimer, d´aimer vraiment, parfois dans la contemplation, parfois dans le plaisir absolu. Aux chansons de crooners et de bluesmen, pourtant recherchées par les bricoleurs de la fausseté électronique afin de nourrir d´éventuels tubes (très en vogue, Billie Holiday), Terre Thaemlitz ôte, grâce aux machines, les mots et les voix, ne gardant que les accompagnements de piano, les rayures, les sifflures. Quelle magie ! Que de vague à l´âme !

DÉLICATESSE D´ÉCORCHÉ VIF

Ici, l´échantillonnage, le couper-coller, sont les fondements de l´art. Les bruits terrifiants de la ville (téléphone, voiture, usine, discours radiophoniques, etc.) sont tronçonnés puis reconstruits avec une délicatesse d´écorché vif. Les cris amoureux, les discours marchands, y compris ceux de l´économie gay, sont traités à l´ordinateur – une machine qui finalement est aussi beauf-hétéro qu´une guitare électrique. Terre Thaemlitz en casse donc un exemplaire à la fin de son concert (vérification faite, l´appareil, fils et puces pendouillant, échoue à la poubelle).

En trois créations, Couture Cosmetic (1994), Love for Sale (1998) et Interstices (2000, chez Mille Plateaux, dans la série Queer Media Series), le compositeur a exploré les champs de la jouissance. Et ceux de la violence : parmi les images qui accompagnent ce concert rare, l´un des plus captivants présentés au Centre depuis sa réouverture, il y a celle d´un bâton de rouge à lèvres en forme de seringue. Ou celle encore d´une manifestation de transsexuels dénonçant le meurtre de Brandon, jeune fille aimant les jeunes filles comme si elle était un garçon, assassinée sauvagement en Amérique profonde, et qui inspira le film Boys Don´t Cry de Kimberly Peirce, largement récompensé aux Oscars du cinéma 2000.